Les Nuages de Magellan :

 

« Pendant la nuit, le furtif avait laissé le salar derrière lui, à présent il survolait une mer démontée, des vagues gris vert frangées d’écume, à perte de vue. […]

Moins d’une heure plus tard, l’île s’annonçait sur leurs écrans radars. Liliam fit descendre le furtif au ras des vagues. Des embruns giclèrent avec la pluie sur le cockpit. Kieren ne put s’empêcher de noter :

– Si on descend un poil plus bas, on n’aura plus à s’inquiéter d’éventuels snipers, on finira broyés par la tempête, c’est une technique comme une autre.[…]

De loin, l’île leur apparut d’abord comme un unique bloc de basalte aux falaises déchiquetées, aux pointes acérées, contre lesquelles éclataient des explosions d’écume. Une étoile noire au milieu du chaos et de la furie des flots. Le fracas des vagues, même à distance, était assourdissant. […]

Liliam de son côté l’écoutait à peine. Elle se concentrait sur son vol. Elle était descendue plus bas encore. À présent, l’appareil slalomait entre les crêtes des vagues. D’après l’ordinateur de bord, il y avait une crique entre deux pans de rochers sur la côte ouest, avec une plage assez large pour s’y poser. Les nuages secouaient de plus en plus le furtif. Kieren se raccrochait de son mieux, avec ses mains liées, aux sangles qui couraient le long de la carlingue. Dan enfonçait ses ongles dans le molleton de son siège. Elle avait l’impression que le souffle des abysses les frôlait à chaque instant, prêt à les entraîner dans les profondeurs. Les creux et les murailles liquides qui environnaient l’avion le faisaient paraître minuscule, un dérisoire fétu blanc au cœur des éléments en furie.

– Accrochez-vous, prévint Liliam entre ses dents. On y est presque.

Elle amorça un virage à bâbord. Soudain, des créatures géantes bondirent hors des flots, des espadons plus grands que le furtif lui-même. Liliam braqua pour les éviter mais trop tard. Le furtif frôla l’un des monstres marins. En réaction celui-ci émit une violente décharge électrique, qui affola d’un coup les systèmes du tableau de bord. D’un geste réflexe, Liliam parvint à la dernière seconde à passer en commandes manuelles, c’est à ce moment qu’un autre espadon, de son rostre, déchira l’aile gauche. Liliam tira brutalement sur le manche, parvint à redresser l’avion qui piquait du nez. L’arrière se déchiqueta sur les récifs alors que Liliam l’engageait dans la passe qui menait à la crique. Dan se retint de hurler. Kieren rattrapa Anshu qui roulait sur le sol. En serrant les dents, Liliam réussit à atterrir en glissant sur le sable humide, dans une écœurante odeur de brûlé. Une épaisse fumée poisseuse s’échappait du fond de l’appareil. »

Les Nuages de Magellan

Estelle Faye