L'empreinte du Démon :

 

"Sur cette plate-forme, assez haut pour que chacun puisse le voir, se tenait un homme vêtu d’une longue robe noire, le visage dissimulé par un capuchon.

Le personnage leva les mains, dans un grand geste théâtral, et une fumée bleue se mit à monter de deux urnes d’argent disposées de chaque côté de la scène. Sur un second geste, des flammes jaillirent des urnes, saluées par un murmure approbateur de la foule. Après cela, le magicien attendit patiemment que son public se rapproche. Kerim s’installa au premier rang, de manière à ce que Sham ne perde rien du spectacle.

— Bienvenue, valeureux seigneurs et gentes dames.

La voix du magicien était sombre et mystérieuse ; Sham vit frissonner plusieurs dames à la mine ravie.

— Je vous remercie de me donner l’occasion de…

— Tabby ? Tab-by ! s’écria une perçante voix de femme, du côté de la porte la plus proche.

Comme la majorité des spectateurs, Sham tourna la tête. Une servante se tenait là, dévisageant d’un œil incrédule le magicien qui lui rendait un regard tout

aussi étonné. Les urnes enflammées crachotèrent et s’éteignirent pitoyablement.

— Tabby ! Mais qu’est-ce que tu fais ? Est-ce que maître Royce sait ce que tu mijotes ?

Les mains sur les hanches, la femme secoua la tête d’un air désapprobateur et le regarda sauter de la scène et se précipiter vers elle en agitant frénétiquement les mains pour la faire taire. Dans sa course, son capuchon retomba en arrière, révélant le visage poupin et parsemé de taches de son d’un jeune homme.

— Bess, tais-toi, siffla-t-il dans un chuchotement de théâtre, tout en jetant un regard nerveux en direction de son auditoire. Maître Royce est…

Il regarda à nouveau les spectateurs captivés et se pencha pour murmurer quelque chose à l’oreille de la femme.

— Qu’est-ce que tu dis ?

Le garçon se racla la gorge, et murmura encore.

Elle se mit à rire et se tourna vers la foule attentive.

— Il dit que maître Royce a abusé de la boisson, hier soir. Vous allez devoir vous contenter de son apprenti.

Comprenant que tout cela faisait partie du spectacle, l’assistance se mit à rire et poussa des cris de joie. La mine contrite, le magicien retourna à son estrade d’un pas traînant. Au passage, il jeta un regard plein de rancune à l’une des urnes qui éructa une petite flamme mortifiée.

— Je ne suis pas si mauvais que ça, vous savez, reprit-il avec une expression pleine d’espoir. J’ai même amené le familier de maître Royce pour m’aider si j’oublie les formules.

Il leur indiqua une table posée derrière lui et couverte d’un drap noir. Sous le tissu, l’une des bosses sembla se déplacer un peu vers l’avant de la table et se souleva même brièvement avant de retomber.

Le public rit de nouveau, ce qui parut le réconforter. Amusée, Sham observait d’un œil de connaisseur la façon dont ce prestidigitateur très doué utilisait le masque de l’incompétence pour distraire l’attention de son auditoire.

Tirant un petit lapin de sous la tunique d’un noble, il l’examina d’un air chagriné.

—  C’était censé être une pièce d’or. Laissez-moi essayer une nouvelle fois.

Il fourra le lapin dans la tunique de sa victime déconfite, dont les amis commençaient à se moquer, mais ce qu’il en tira ensuite ne fut pas une pièce d’or. La foule éclata de rire, et, malgré le rouge qui lui montait aux joues, le noble cybellien ne put s’empêcher de rire, lui aussi. Sans mot dire, le magicien leva à bout

de bras une pièce de mousseline aérienne qui ne pouvait provenir que d’un sous-vêtement féminin.

L’attrapant vivement, le noble rugit d’une voix de stentor :

— Je me demande vraiment d’où sort cette fanfreluche !

Il ouvrit sa bourse de cuir, y fourra la petite chose en dentelle et en tira une pièce d’or.

— Voilà votre pièce d’or, mon garçon, lança-t-il.

Le magicien la prit, l’air émerveillé.

— Ah, c’est donc comme ça que s’y prend maître Royce."

 

L’empreinte du démon

Patricia Briggs