Brulure Magique :
La caisse craqua sous moi. Je tombai avec la grâce d’un sac de patates, me raccrochant au squelette. Mes doigts traversèrent les os et agrippèrent un carreau à la main et les doigts recouverts de poudre claire.
Il y avait un trou dans le côté gauche du squelette, entre les troisième et quatrième vertèbres. Le trou se maintint une seconde, grandit, fondit, puis le squelette entier implosa en poussière. La silhouette de poussière resta en l’air un instant, me défiant, avant de s’évaporer.
— Merde !
Voilà, partis mes indices. Génial, Kate, vraiment génial !
Une série d’applaudissements enthousiastes se répercuta derrière moi. Je sautai sur les pieds. Un homme était appuyé contre le mur. Il portait une veste en cuir qui aurait bien voulu être une armure. Le côté dangereux d’une arbalète dépassait de son épaule gauche.
Salut l’arbalétrier !
— Superbe ! dit-il en continuant à applaudir. Et quel atterrissage !
— Julie, dis-je en gardant une voix calme, ne bouge pas.
— Aucune raison de s’inquiéter, dit l’arbalétrier, je ne ferai aucun mal à la petite. À moins d’y être obligé. Et peut-être si j’avais vraiment faim et qu’il n’y avait rien d’autre à manger. Mais elle est trop maigre. J’aurais des os coincés entre les dents toute la journée. Ça n’en vaut pas la peine.
Je n’arrivais pas à savoir s’il plaisantait.
— Tu cherches quelque chose ?
— Je venais juste voir ce qui avait dérangé mes carreaux. Et qu’est-ce que je trouve ? Une souris. (Il fit un clin d’œil à Julie) Et une femme.
Il dit « femme » de la même manière que j’aurais dit « miam, chocolat » en me réveillant affamée avec un pot de Nutella dans un frigo vide. Je fis tournoyer mon sabre et reculai un peu pour placer le trou sur ma droite. S’il m’y faisait tomber, il me faudrait longtemps pour en sortir.
L’homme approcha. Il était grand, près de deux mètres. Des épaules larges. De longues jambes dans un pantalon noir. Ses cheveux bruns tombaient en mèches emmêlées sur ses épaules. On aurait dit qu’il les avait coupés lui-même avec un couteau avant de nouer un bandeau de cuir sur son front pour les garder en place. Séduisant connard. Une mâchoire bien dessinée, des pommettes délicatement ciselées, des yeux qui sortaient d’un rêve de femme et foutaient le bordel dans son mariage.
Il me dédia un sourire sauvage.
— Tu aimes ce que tu vois, ma colombe ?
— Non.
Je n’avais pas baisé depuis dix-huit mois. Excusez-moi pendant que je me bats contre ma surcharge hormonale.
Rasez cette mâchoire, brossez ces cheveux, calmez la folie de ces yeux et il devrait se battre pour protéger sa vertu.
A cet instant, il avait l’air de se cacher dans les ombres où se tapissent les animaux sauvages, et de les faire fuir avec son odeur. Une femme douée d’un minimum de bon sens sortirait son couteau et traverserait la rue en le voyant.
— Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te faire mal, me promit-il en me tournant autour.
— Je ne suis pas inquiète.
Je commençai moi aussi à tourner autour de lui.
— Tu devrais.
— D’abord tu dis que je ne devrais pas, puis que je devrais… décide-toi.
Des gouttes d’eau glissaient de sa veste. À en juger par la lumière qui traversait les trous dans le toit, le ciel était bleu. Pas de trace d’humidité dans l’air. Si les infos de Derek étaient correctes. S’il était capable de se téléporter. Comment l’empêcher de disparaître ?
L’homme écarta les bras. Je n’aimais pas sa manière de bouger, si léger sur ses pieds.
— C’est quoi le mignon lacet sur ton front ?
— Quoi ? Ça ?
Il jouait avec le bout du cordon.
— Ouais. Rambo a appelé, il veut récupérer son bandana.
— Ce Rambo, c’est un de tes amis ?
— Qui est Rambo ? demanda Julie.
Quand une référence culturelle passe au-dessus de la tête d’un mec, fait-elle du bruit si personne d’autre ne comprend ? Je n’avais jamais réussi à voir le film en entier – la magie
avait toujours interféré, mais j’avais lu le bouquin. Peut-être qu’après la fin du tsunami, quand la tech reprendrait ses droits pendant quelques semaines, je retrouverais le minidisc et pourrais regarder ce foutu truc du début à la fin.
L’arbalétrier fit un pas, je pointai Slayer dans sa direction.
— Ne t’approche pas plus près.
Il fit un tout petit pas de plus.
— Désolé, mon pied a glissé.
Un autre pas.
— Désolé, je n’arrive pas à contrôler les mouvements de ces petites choses.
— Le prochain pas sera ton dernier.
Il se balança en avant, je faillis plonger.
— Ha ! Ha ! (il secoua la tête, faussement déçu.) Je n’ai pas vraiment avancé, tu vois.
Julie ricana.
Il leva la main dans un geste d’apaisement.
— Tu devrais te détendre un peu, ma colombe. Comme la souris, là-bas. Tu me fais confiance, n’est-ce pas, petite souris ?
— Non.
— Oh ! Je suis blessé. Personne ne m’aime !
Je sus qu’il allait bouger une fraction de seconde avant qu’il se mette en mouvement. Ses yeux le trahissaient. Il plongea, rata et trouva la pointe de Slayer dans son dos.
— Bouge et je coupe ton foie en deux.
Il tournoya, mon sabre trouva du métal. Une cotte de mailles en dessous de la veste. Merde ! Des doigts d’acier agrippaient ma main. Il plongea les doigts rigides de sa main droite sous mon sternum.
Je reculai un peu pour amortir l’impact – ça faisait foutrement mal quand même – et attrapai son poignet droit, le tirant vers moi. Un instant, tout son poids reposa sur sa jambe gauche, je frappai du pied. Il s’écrasa sur le sol et m’attira vers lui, son poing refermé sur ma main d’épée. Je percutai le sol, lâchant Slayer. Ma main se glissa entre ses doigts, je roulai pour lui échapper.
Une demi-respiration plus tard, nous étions tous deux debout.
— Jolie sabre. (Il fit jouer Slayer dans la lumière qui dansa sur la lame opaque et plongea dans la chemise de mailles noires clairement visible sous la veste.) Pourquoi pas de garde ?
— Je n’en ai pas besoin.
— Il est bon ?
Je donnai un coup de pied dans le morceau de cuir que j’avais découpé.
— Regarde toi-même.
Ses mains volèrent pour vérifier sa cotte de mailles, j’en profitai pour lui donner un coup de pied. Je visai la gorge. Il attrapa mon pied dans un grognement et me fit chuter. Son genou m’écrasait le cou. Il m’avait tendu un piège et je m’y étais jetée. La lumière faiblissait. Je pouvais à peine respirer.
— Tu frappes comme une mule !
Il fit la grimace, enfonça un peu plus son genou. Je n’avais pas assez d’air. Il tenait ma main droite mais pas ma gauche. Je pliai le poignet gauche, une aiguille d’argent glissa dans ma paume.
— Mais je fais ça depuis tellement plus longtemps…
J’enfonçai l’aiguille dans sa cuisse.
Le muscle de sa cuisse se contracta. Il grogna et tomba à côté de moi. Je sautai sur mes pieds et le frappai au visage. C’était un coup puissant qui fit mouche. Il s’étala sur le dos, saignant du nez. Je me laissai tomber à côté de lui, glissai ma jambe sous son bras vers l’arrière. Il gronda. Si je plaçais mes jambes en ciseaux, je lui démettais l’épaule tout en gardant les deux mains libres.
J’ouvris la fermeture éclair de sa veste, à la recherche des cartes.
— Mauvaise fermeture, haleta-t-il. Essaie plus bas.
— Dans tes rêves.
Je plongeai dans la poche intérieure et libérai un emballage plastique. Les cartes.
— Ce n’est pas bien de voler. Merci d’avoir rendu la propriété de la Meute. Ta coopération a dûment été notée.
Il me regarda droit dans les yeux, sourit et disparut.
Je me redressai maladroitement. Le carreau rouge frappa la terre entre mes pieds pendant que je me relevais. Je continuai tout doucement.
Il se tenait quelques mètres plus loin, pointant son arbalète chargée sur moi. La tête aiguisée d’un carreau était pointée vers mes yeux. Je ne pouvais éviter un trait d’arbalète à trois mètres. Même dans mes meilleurs jours.
— Mets tes mains là où je peux les voir, ordonna-t-il.
Je lui montrai mes paumes, les cartes de la Meute toujours bien tenues dans la main droite.
— Tu as triché ! (La voix de Julie était pleine d’indignation.) Laisse-la tranquille !
Son nez n’avait plus l’air cassé. Il n’y avait plus de sang non plus. Merveilleux ! Non seulement il pouvait se téléporter mais en plus il se régénérait en même temps. S’il commençait de cracher du feu, on serait tous foutus !
Tout en gardant son arbalète en position, il arracha l’aiguille de sa cuisse avec une grimace.
— Ça fait mal !
— Bien fait pour toi ! cria Julie
Les sourcils de Julie se levèrent, plein de mépris adolescent.
— Naaaaaaaaaan !
— Ne me pousse pas à monter te chercher.
Il y avait de l’acier dans la voix de l’arbalétrier, Julie se cacha derrière les caisses.
— Laisse la gosse tranquille ! dis-je.
— T’es jalouse ? Tu me veux pour toi toute seul ? (Il pointa son arbalète un peu plus à droite.) Tourne-toi.
Je lui tournai le dos, attendant la morsure de l’acier entre mes omoplates.
— Très bien. Tourne-toi encore.
Je me retournai pour le voir froncer les sourcils.
— Je n’arrive pas à me décider si je préfère le devant ou le derrière.
— Et mon sabre dans ta gueule ?
— C’est ma réplique, ça, ma colombe.
Son regard lubrique ne laissait aucun doute sur ses intentions.
— Tourne-toi encore. Gentille fille.
Je l’entendis approcher. C’est ça, viens plus près. Je suis très vulnérable. Avec mes mains en l’air et tout le reste…
— Pas d’initiative, me prévint sa voix dans mon oreille. Ou la prochaine fois que je viens je cloue ta petite à ces caisses.
Je serrai les dents et restai immobile.
— Tu as brisé ma garde. Je suis furax – ces saloperies sont difficiles à mettre en place et je vais devoir recommencer. Je devrais te mettre un carreau en travers de la gorge. (Ses doigts caressèrent ma nuque, envoyant des frissons le long de ma colonne vertébrale.) Mais je suis un gentil garçon. Je vais te donner un conseil à la place : ramasse ta gosse et rentre à la maison. Je te laisserai même rapporter les cartes aux types à fourrure puisque tu t’es battue pour les récupérer. Reste en dehors de mon chemin à partir de maintenant. Ce n’est pas ton combat et ça te dépasse complètement.
— Quel combat ? Contre qui ? Qui es-tu ?
— Je suis Bran, le héros.
— Le héros ? L’humilité est une vertu.
— Comme la patience. Et si tu es patiente et chanceuse tu pourras être celle que je baise pendant ma dernière nuit en ville.
Ses mains se pressèrent sur mon cul. Je pivotai avec l’intention de lui envoyer mon poing dans le nez. Le hangar était vide à part une infime traînée de brume. Elle resta en place pendant une longue respiration puis se dissipa dans le vent.
Brûlure magique,
Tome 2 de Kate Daniels
Ilona Andrews